Pékin (1601-1610)

Des lettrés se convertissent …

Dès le moment où son statut fut ainsi bien établi, les fonctionnaires et lettrés de la capitale n’hésitèrent plus à s’associer avec Ricci et il fit la connaissance de bon nombre de hauts fonctionnaires et d’hommes de qualité.


Un petit nombre des amis de Ricci s’intéressèrent sérieusement à la religion chrétienne et était attirés par elle. Le plus notable parmi eux était un magistrat, grand lettré, du nom de Feng Yingjing 馮應京 (1555-1606) qu’une mort prématurée empêcha d’être baptisé. Li Zhizao 李之藻 (1565-1630) et Xu Guangqi 徐光啟 (1562-1633) devinrent les principaux collaborateurs de Ricci dans ses écrits philosophico-religieux et scientifiques. Léon Li Zhizao, Paul Xu Guangqi et Michel Yang Tingyun 楊廷筠 (1557-1627) sont encore connus aujourd’hui comme “Les trois piliers de la première Eglise catholique” en Chine (le dernier a rencontré Ricci, mais ne fut baptisé qu’en 1612).


Ces trois lettrés faisaient partie du petit nombre de ceux qui s’intéressèrent vraiment au christianisme. De plus, suite aux efforts faits, spécialement de la part de Xu Guangqi, pour produire une synthèse des enseignements confucéen et chrétien, à l’exclusion du bouddhisme et du taoïsme, Ricci rencontra beaucoup d’opposition de la part du clergé bouddhiste ainsi que de magistrats qui avaient de fortes sympathies pour le bouddhisme et le taoïsme.


Son succès était, bien évidemment, très apprécié des autorités jésuites à Rome et, en 1604, la “mission chinoise” cessa d’être subordonnée à la Province jésuite du Japon et devint indépendante, avec Ricci à sa tête. Néanmoins, la méthode d’accommodement culturel rencontrait beaucoup d’opposition aussi bien parmi les jésuites qu’en dehors de leur ordre.


La Résidence jésuite de Pékin

Durant les toutes premières années, lui et ses compagnons avaient loué des maisons et déménagé à plusieurs reprises. Ce n’est qu’en 1605 qu’ils arrivèrent à acheter toute une propriété dans la partie occidentale de la ville, juste à l’intérieur de la porte Xuanwu (宣武门). C’est là que, par la suite, fut érigée ”l’église du sud” (Nantang 南堂).


La nouvelle résidence ouvrit le 27 août. Elle appartient encore à l’Eglise catholique, mais les bâtiments de l’époque ont été détruits. C’est là que Ricci et ses confrères recevaient des visiteurs venant de toute la Chine qui avaient lu certaines de ses publications et étaient impatients de le rencontrer en personne. Ce fut particulièrement le cas en 1607 et 1610, au moment des examens métropolitains, quand des lettrés de chaque province de Chine convergèrent sur la capitale. Un de ses visiteurs fut Ai Tian 艾田, membre de la communauté juive de Kaifeng (开封), à qui nous devons les premiers renseignements sur l’existence de cette communauté. Selon certains rapports, Ricci a ainsi rencontré des personnalités de toutes les provinces de Chine sauf deux.


La publication de sa Mappemonde et de son Traité de l’amitié fit de Ricci un auteur célèbre aux yeux des lettrés chinois. Bien conscient de l’importance et de l’efficacité de l’écrit pour propager de nouvelles idées, Ricci continua d’étudier la littérature chinoise à Pékin et de s’exercer à écrire en chinois.


Pendant toutes ces années, Ricci et ses compagnons étaient par moments appelés au palais impérial, tout spécialement pour s’occuper des pendules et autres instruments étrangers. Ricci avait hésité à présenter à l’empereur sa Mappemonde de peur que la représentation de la Chine comme une partie du monde parmi d’autres ne l’indispose. En fait, ce dernier entendit parler de la carte et manifesta beaucoup d’intérêt. Il s’en ensuivit qu’on demanda à Ricci, en 1608 d’en préparer une copie spéciale à l’intention de l’empereur.


Le nombre de ses amis parmi les lettrés et magistrats ne cessait d’augmenter, et certains se convertirent et furent baptisés. La faveur dont jouissait Ricci dans la capitale se faisait sentir dans les provinces et les missions jésuites, notamment celle de Nankin, pouvaient ainsi développer leurs activités. La stratégie qui consistait à commencer par la capitale portait des fruits et elle était importante, car dans les provinces les missionnaires étrangers et leur enseignement rencontraient énormément d’opposition de la part de la population en général et des gens instruits en particulier. Parfois, cette opposition s’exprimait par écrit. C’est dans ce contexte que Ricci publia en 1609 sa Correspondance apologétique (bianxue yidu 辨学遗牍 | 辯學遺牘), où il débattait avec les doctrines bouddhistes de Yu Chunxi 虞淳熙 et du moine Zhu Hong 祩弘.


La stratégie de Ricci

Dans une lettre du 15 février 1609, Ricci expose sa stratégie à l'un de ses supérieurs. Elle est le fruit des idées qui ont mûri en lui au cours d'années d'expérience et elle commença à être mise en oeuvre dès 1601.

La stratégie consistait à intensifier à Pékin et à partir de Pékin l'apostolat intellectuel, pour établir à travers l'empire un réseau de contacts amicaux et susciter parmi les masses des sympathies toujours plus nombreuses à l'égard du christianisme. Accompagnant cette campagne, et servie indirectement par elle, l'oeuvre d'évangélisation «de faire des chrétiens» serait poursuivie à la fois à Pékin et dans les provinces. Cela devrait être accompli selon les lignes établies en suivant les méthodes de pénétration pacifique et d'adaptation culturelle. L'européanisation devait être évitée; les contacts avec les Européens, spécialement avec les Portugais de Macao, réduits au minimum. Des mesures seraient prises pour obtenir des biens, productifs de revenus, permettant de pourvoir aux besoins de la mission. En attendant, aussi longtemps qu'il serait nécessaire d'avoir recours à Macao pour obtenir des fonds, il faudrait le faire «aussi prudemment et aussi peu que possible». Tant que la doctrine chrétienne n'était pas en danger d'être compromise, les inutiles conflits avec les suspicions et les préjugés chinois devraient être évités. L'apostolat serait poursuivi «prudemment, sans tapage, avec de bons livres et des arguments raisonnables prouvant aux lettrés la vérité de notre doctrine qui, non seulement ne peut causer de préjudice, mais au contraire sert la cause du bon gouvernement et de la paix dans l'empire». Ce qui importait avant tout, c'était d'avoir de bons chrétiens, plutôt que d'en avoir un grand nombre.


Les derniers moments de Ricci … le cimetière jésuite de Pékin

Le 3 mai 1610, Ricci tomba très sérieusement malade et comprit que sa fin était proche. De célèbres médecins vinrent l’examiner, mais sans résultat. Le surmenage et les tensions lui avaient ruiné la santé. Il mourut en paix le 11 mai ; il avait 57 ans. Après la messe des funérailles, un magistrat chrétien suggéra de demander à l’empereur d’accorder une place pour sa sépulture. Pantoja rédigea la requête avec l’aide de Li Zhizao et ce dernier fit le nécessaire pour qu’elle soit présentée au trône. La demande fut accordée le 18 juin. Parmi les endroits proposés, les missionnaires choisirent une villa en dehors de la Porte de l’ouest, Fuchengmen (阜成门), qui avait été confisquée à un eunuque condamné à mort. Ils finirent par l’obtenir en dépit de l’opposition de certains eunuques. L’endroit était assez grand pour un cimetière et une chapelle, ainsi qu’une résidence. Le 11 novembre 1611, le corps de Ricci y fut déposé ; après lui, un bon nombre des jésuites qui moururent à Pékin y furent aussi enterrés.


Le site du cimetière connu sous le nom de Zhalan’er 栅栏儿 | 柵欄兒 a été transféré au XIXe siècle aux Frères Maristes. Presque complètement détruit par les Boxers en 1900, il fut restauré par la suite. En 1966, durant la Révolution Culturelle, il fut de nouveau violé et détruit, mais une fois encore il a été restauré en partie. Les stèles des trois grands missionnaires jésuites, Matteo Ricci, Adam Schall von Bell et Ferdinand Verbiest ont été reconstituées à partir de frottis.