La question des Termes


L’histoire de la mission jésuite en Chine sera marquée jusqu’au milieu du XVIIIe siècle par la «Querelle des Rites» au sujet des rites à l’égard des ancêtres que tout chinois était tenu d’accomplir ; elle connaît aussi la «Querelle des Termes» qui concernait la manière de traduire les termes chrétiens et qui trouva un dénouement assez rapide.


La traduction de ces termes en chinois fut un problème important pour Ricci. C'était plus qu'une question d'exactitude terminologique. Ce qui revêtait une importance cruciale, c'était de transmettre aux Chinois les idées qui se cachaient derrière les mots, par exemple que le monde était créé par un acte délibéré de Dieu [ou du Seigneur du Ciel (Tianzhu 天主), un terme utilisé par Ricci depuis 1583]. Il était convaincu que l'idée de Dieu n'était pas étrangère aux Chinois.

Plus Ricci pénétrait la vie intellectuelle de la Chine, plus il était étonné de trouver dans les plus vieux livres canoniques, qui formaient la base du savoir chinois, une si pure idée de Dieu qu'il ne pouvait s'en trouver de semblable dans aucune autre culture. Dans les écrits classiques, pas la moindre trace de polythéisme: chez les Chinois, aucun panthéon comme chez les Grecs, les Romains, les Hindous et les bouddhistes mahayana.

Les Chinois de l’Antiquité reconnaissaient un être suprême conçu comme un être personnel.

L'offrande de sacrifices à cet être suprême était réservée à l'Empereur et les sujets ordinaires ne pouvaient avoir la présomption de s'arroger un tel privilège. Il est vrai que l'Empereur offrait également des sacrifices aux esprits des montagnes, des rivières, aux hommes célèbres, et qu'il était permis et même recommandé au peuple d'offrir des sacrifices aux esprits tutélaires de leurs villages, et aux familles de sacrifier à leurs ancêtres. Mais tous ces esprits étaient subordonnés à l'être suprême, en sorte que la religion primitive de la Chine, avant la venue du taoïsme et du bouddhisme, était à ses yeux monothéiste.

C'est pourquoi Ricci et ses successeurs, en parlant du vrai Dieu ou du Seigneur du Ciel (Tianzhu), utilisèrent les termes par lesquels les Classiques chinois désignaient l'Etre suprême, le Seigneur d'En-Haut (Shangdi) et du Ciel (Tian). Ce n'était pas s'écarter beaucoup de ce que les Septante avaient fait, eux qui n'hésitèrent pas à utiliser le mot grec theos pour désigner le vrai Dieu de la Bible.


Pour Ricci, les Confucianistes du temps de Ricci avaient perdu la vraie idée de Dieu parce qu'ils identifiaient le Seigneur d'En-Haut et le Ciel au concept créé par les néo-confucianistes de l'époque des Tang et des Song, l'Ultime Suprême (taiji 太极), une sorte de premier moteur impersonnel et mécanique fonctionnant par voie d'un principe (li 理) s’incarnant dans la matière (qi 气). Ce faisant, estimait-il, ils pervertissaient le confucianisme primitif en un système athée et matérialiste (aujourd’hui on parlerait plutôt d’agnosticisme).

En identifiant son Seigneur du Ciel au Seigneur d'en-haut des Classiques, Ricci se rangeait du côté de certains penseurs de son temps pour qui le Seigneur du Ciel était un être suprême personnel et se distinguait de l'Ultime Suprême, l'ordre universel immanent aux choses.


Cette idée fondamentale d'un Dieu créateur avait de nombreuses connotations, telles que la séparation de l'âme et du corps, la rétribution, etc., ce qui avait d'importantes répercussions et créait des conflits avec les idées néo-confucéennes dominantes - et même avec le confucianisme traditionnel. Si le Seigneur du Ciel créait le monde et tout ce qu'il contient, il devait aussi avoir créé la race chinoise. Comment? C'était une question non seulement difficile, mais aussi délicate et dangereuse, étant donné la sensibilité «sinocentrique» et la fierté des Chinois. Et puis, si nous ajoutons à cela l'explication des dogmes et des mystères de la foi catholique, l'énormité du problème apparaissait.