Le grand projet de Ricci


Ricci, connaissant l’importance depuis l’antiquité du calendrier dans les institutions chinoises, conçut un grand projet, celui de faire venir en Chine un jésuite astronome qui pourrait s’atteler à cette tâche, ce qui rendrait les religieux indispensables à l’empereur et par là même à être acceptés dans les faits, à défaut d’approbation officielle.


Voici, en effet, ce qu'il écrit le 12 Mai 1605 à un correspondant d'Europe :

« J'adresse à Votre Révérence d'instantes prières pour une chose que j'ai demandée depuis longtemps et à laquelle où ne m'a jamais répondu : ce serait d'envoyer d'Europe un père ou même un frère qui soit bon astronome. Je dis, "astronome", parce que, en ce qui concerne les autres matières de géométrie, cadrans solaires et astrolabes, j'en sais assez pour l'usage.... mais ces questions tenues en moindre estime que la trajectoire et le lieu véritable des planètes, le calcul des éclipses et, en résumé, l'art de construire des éphémérides. Ceci s'explique par le fait que le Roi entretient, je crois, plus de deux cents personnes à grands frais, pour calculer chaque année l'éphéméride... ; ces gens ne savent rien de plus qu'aligner des chiffres en appliquant leurs règles ; ils n'en comprennent pas la signification et, si le résultat est erroné, ils se contentent de dire qu'ils se sont conformés aux préceptes des anciens.

« Avec mes mappemondes, cadrans, sphères, astrolabes et autres instruments que j'ai fabriqués et expliqués, je suis parvenu à acquérir la réputation d'être le plus grand mathématicien du monde... Par conséquent, si ce mathématicien venait en Chine, après que nous eûmes traduit en chinois nos tables, ce qui me serait très facile, nous entreprendrions la tâche de corriger le calendrier, et, grâce à cela, notre réputation irait en grandissant, l'entrée en Chine nous serait facilitée, notre séjour y serait plus assuré et nous y jouirions de plus de liberté.

« Je désire qu'on recommence à discuter cette question avec notre Père [Général] comme une affaire très importante pour la Chine. Peu importe la nationalité ! Qu'on envoie un ou deux astronomes directement à la Chine, et même à Pékin, car en une autre place ils seraient peu utiles. Qu'ils prennent soin d'apporter avec eux les livres nécessaires, sans se fier à Goa, ni à d'autres endroits : en effet, dans les collèges de l'Inde, il ne se trouve pas de ces livres, et s'il y en avait, on ne les céderait pas à une autre maison.


Si l'on tient compte qu'il fallait à l’époque cinq, six et même sept ans pour recevoir en Chine la réponse à une lettre envoyée en Europe, on ne se trompera guère en reportant à l'année 1598 la première demande d'un collaborateur astronome.


Cette idée lui était donc venue à Nankin lorsqu’il avait découvert l’incapacité des astronomes chinois à faire cette réforme. A Pékin, le fondateur de la mission de Chine avait été plus persuadé que jamais de la nécessité de participer activement à la réforme du calendrier, et, malgré les oppositions qu'il rencontrera auprès de certains de ses collaborateurs les plus fidèles, il ne cessera point, durant plus de neuf ans, de chercher à gagner suffisamment de crédit auprès de l'empereur pour qu’un jésuite soit autorisé à réformer le calendrier et les éphémérides. Les lettrés, qui l'y aideront seront tous – ou presque tous – originaires du Jiangsu et du Zhejiang, parmi lesquels Xu Guangqi, originaire de Shanghai.


En 1607, arrive à Pékin le P.Sabatino de Ursis (1575-1620), pour assister Ricci dans son travail astronomique. Quelques mois après le décès de ce dernier, il prédit une éclipse le 5 décembre 1610 qui n’avait pas été annoncée par les astronomes officiels. Il gagna en prestige et cette démonstration de compétence était un argument de poids pour permettre aux jésuites de travailler sur la réforme du calendrier. Mais l’opposition à la participation des étrangers à une telle tâche fut telle qu’ils durent renoncer à travailler sur cette réforme. Suite aux évènements de Nankin en 1616-1617, il fut expulsé à Macao où il décéda trois ans plus tard.


Avec l'échec de la réforme du calendrier par Paul Xu Guangqi et le P.de Ursis, se clôt la période où le P. Ricci apporta la science européenne à la Chine.

Peu avant la fin de la dynastie des Ming, de 1629 à 1633, c’est menés par Adam Schall (1591-1666) que les jésuites furent chargés de faire la réforme du calendrier sous la direction de Xu Guangqi, devenu Vice-Ministre des Rites. Ils la réalisèrent en adoptant le modèle astronomique de Tycho Brahé (dans lequel les planètes tournent autour du soleil et le soleil autour de la Terre) et les méthodes de calcul du calendrier qui en découlent.


Les Mandchous qui établirent une nouvelle dynastie en 1644 ont continué pendant plus d’un siècle à faire appel à des religieux jésuites pour remplir les fonctions d’astronomes et de calendéristes. Ces derniers étaient le plus souvent des spécialistes qui n’avaient de relations qu’avec leurs collègues et ne rencontraient plus les lettrés avec qui Ricci s’entretenaient régulièrement. Ils rendaient un service à l’empereur, qui tolérait les activités missionnaires des religieux dans les provinces. Même après la proscription de la religion chrétienne en 1724, certains restèrent en qualité d’astronomes jusqu’à la dissolution de la Compagnie de Jésus en 1774.