La religion naturelle


Ricci emploie des expressions comme ‘religion naturelle’, ‘raison naturelle’, ‘loi naturelle’.

Que signifiaient ces expressions à la fin du XVIème siècle ?


Ces expressions remontent à l’époque des Pères de l’Eglise et notamment à celle de saint Augustin (354-430), qui voyait le paganisme romain tenter de renaître quelques décennies après la conversion de Constantin au christianisme.


Dans la « Cité de Dieu », Augustin vise la théorie de Terrentius Varron (116-27 av. notre ère), philosophe qui avait développé une théorie de la religion romaine antique dans un contexte où les penseurs romains, influencés par la philosophie grecque, doutaient de leurs dieux, dont le comportement moral n’était guère un modèle.

Varron développait une théologie tripartite, qui distinguait diverses formes de représentation d’un seul et même dieu : la théologie mythique, qui était celle des poètes, la théologie politique, celle des hommes d’Etat, et la théologie naturelle, celle des philosophes.


Il croyait que le vrai dieu était l’âme de l’univers et que les dieux romains étaient en réalité les personnifications symboliques des phénomènes naturels qui, à leur tour, étaient les diverses représentations de l’âme de l’univers. Cette approche permettait de justifier les aberrations morales des divinités romaines par des « interprétations allégoriques ».



Saint Augustin soutient que les interprétations allégoriques de Varron ne conduisent pas à la théologie, mais à la « science de la nature » et non à la « science de Dieu ».

Avec force, il affirme que toute nature n’est pas Dieu, la terre n’est pas la mère des dieux, mais l’œuvre de Dieu. Il emploie le mot ‘nature’ en lui donnant diverses acceptions, que Thomas d’Aquin (1225-1274) clarifiera en distinguant la ‘nature naturante’ et la ‘nature naturée’ : la première, active, cause de soi, se suffisant à elle-même et principe d’intelligibilité (Dieu), la seconde, passive, n’ayant pas sa cause en elle-même (le monde et toutes ses créatures).


Cette distinction en rejoint une autre, celle entre l’« un » et le « multiple », qui s’exprime aussi dans la philosophie grecque dans celle entre la nature (‘phusis’, nature constante, identique en tous lieux) et la loi (‘nomos’, différente suivant les temps et les lieux). C’est en dernier sens de ‘nature’ dans l’expression de ‘théologie naturelle’. Augustin attribue la théologie mythique et la théologie politique de Varron à la ‘loi’, c’est-à-dire à la particularité romaine, tandis que la théologie naturelle, identique en tous lieux, est celle du dieu unique (s’opposant aux dieux multiples des mythologies) ; il répond à Varron dans ces termes :

Tu dis en effet que les dieux de la fable sont faits pour le théâtre, ceux de la nature pour le monde, ceux de la cité pour la ville, quand le monde est l'oeuvre de Dieu, la ville et le théâtre l'oeuvre des hommes ; et les dieux dont on rit dans les théâtres sont ceux mêmes qu'on adore dans les temples ; ceux auxquels vous offrez des jeux sont les mêmes auxquels vous immolez des victimes. Combien eût-il été plus loyal et plus adroit pour toi de diviser les dieux en disant : les uns sont naturels, les autres institués par les hommes, mais, sur ces derniers, autre est le langage des poètes, autre celui des prêtres ; ces deux langages pourtant sont tellement unis entre eux par les liens amicaux du mensonge qu'ils sont l'un et l'autre agréables aux démons, ces ennemis de la doctrine de vérité. (La Cité de Dieu, cité par Joseph Shih dans l’Introduction de l’Expédition chrétienne au royaume de Chine.)


Augustin établit la catholicité de la religion chrétienne en ce qu’elle est conforme à la raison naturelle, alors que les autres religions, les religions païennes sont marquées par le particularisme.

Cette thèse présente cependant deux insuffisances : ne pas reconnaître la signification religieuse des cultes non-chrétiens et ne pas remarquer le lien entre mythes et métaphysique.



L’attitude des missionnaires chrétiens sera inspirée pendant de nombreux siècles par cette thèse, l’opposition aux croyances de la religion païenne et l’examen critique des enseignements des penseurs païens.

C’est ainsi que Ricci critique la religion locale (le bouddhisme et les autres qu’ils ont des difficultés à repérer) et examine les cultures locales non-religieuses.