Alessandro Valignano (1539-1606)

Du côté des missionnaires, leurs efforts persistants pour entrer en Chine étaient totalement encouragés par les supérieurs en Europe. Ce fut particulièrement le cas de Francisco Borgia (1510-1572), un grand d’Espagne, duc de Gandie, qui en 1551 renonça à ses titres de noblesse et à ses biens et fut ordonné prêtre dans la Compagnie de Jésus. Sa célébrité aussi bien que sa remarquable personnalité, conférait une grande autorité à tout ce qu’il pouvait dire ou faire. Quand il visita le Portugal, qui contrôlait les missions depuis l’Inde jusqu’au Japon, il fut mis au courant de tous les efforts pour pénétrer en Chine ainsi que de l’établissement de Macao, et déclara publiquement qu’il y avait de grands espoirs d’ouvrir des missions en Chine. Ces propos eurent tout un retentissement parmi les jésuites ; de toutes parts, prêtres jeunes et vieux demandèrent à leurs supérieurs de les désigner pour la Chine.


En 1565, Francisco Borgia fut élu Supérieur général de la Compagnie de Jésus. Son intérêt pour les missions ne se limita pas à son ordre : au cours d’une conversation avec le pape saint Pie V en 1568, il suggéra la formation d’une Congrégation romaine qui superviserait tous les plans pour la conversion des non chrétiens, car à l’époque les missions étaient trop soumises à des pouvoirs séculiers qui n’étaient plus à même de remplir cette tâche spirituelle. Cette suggestion conduisit à la création en 1622 de la Congrégation pour la Propagation de la foi. Mais, pour ce qui est des missions jésuites, la principale contribution de Borgia fut sans doute d’admettre dans la Compagnie de Jésus un certain Alessandro Valignano, qui allait être le deuxième grand missionnaire jésuite en Asie.


Fils d’un grand ami du pape Paul IV, alors régnant, Alessandro Valignano avait obtenu avec distinction un doctorat en droit à l’université de Padoue et avait commencé une carrière de juriste au service du Saint Siège quand il abandonna tout à l’âge de 27 ans pour entrer au noviciat jésuite. Du fait de ses études antérieures, il fut rapidement ordonné prêtre. Au bout de cinq ans, il était assistant du Maître des novices à Santo Andrea au Quirinal, à Rome. C’est ainsi qu’en 1571 il reçut un nouveau novice, un étudiant en droit lui aussi, âgé de 20 ans, Matteo Ricci.


Après une année comme recteur du Collège jésuite de Macerata, la ville de la famille Ricci, Valignano fut envoyé à sa demande pour les missions en Orient. Il n’y alla pas comme simple missionnaire, mais avec le titre de Visiteur pour inspecter l’ensemble de la mission et donner des directives. Valignano quitta Lisbonne en 1574 et arriva à Goa la même année. Il resta Visiteur de cet immense territoire jusqu’en octobre 1583, quand il fut nommé Provincial d’Inde. Il resta à ce poste jusqu’en 1587, puis redevint Visiteur pour l’Asie jusqu’en 1595 ; à partir de cette date, il fut Visiteur pour l’Extrême-Orient jusqu’à sa mort en 1606. A son arrivée à Goa en 1574, il régla les questions les plus urgentes, puis s’embarqua pour le Japon. En route, il dut passer dix mois à Macao, dans l’attente de moussons favorables (1577). Ce délai fut providentiel. Il entendit parler des tentatives pour entrer en Chine, et il put constater le pessimisme de certains de ses religieux qui déclaraient qu’il n’y avait aucun espoir.


Valignano était quelqu’un qui regardait tout avec un esprit ouvert. C’était là la première fois qu’il rencontrait le monde à l’est de l’Inde et il s’employa à apprendre tout ce qu’il pouvait à propos de la Chine. Comme Xavier, il était très impressionné par ce qu’il entendait dire au sujet des Chinois et par ce qu’il en découvrait lui-même par des contacts personnels. Dans ses lettres, il en parlait comme «d’un grand peuple, d’une peuple de valeur» et en vint à la conclusion qu’ils seraient à même d’accepter la foi chrétienne si on adoptait la manière correcte de leur proposer celle-ci. Il écrivit donc au Supérieur général qui l’avait envoyé que la seule façon de procéder serait complètement différente de celle en cours jusqu’alors dans tous les autres pays de la région. Il était convaincu que le respect des Chinois pour les études et leur disposition à écouter tout ce qui leur était proposé de manière intelligente – et non pas comme quelque chose appartenant à une civilisation qui se prétendait supérieure à la leur – les disposeraient à accepter le christianisme. Il donna donc des instructions pour que tous ceux qui seraient désignés pour la mission en Chine commencent nécessairement à apprendre à lire, écrire et parler chinois et à se familiariser avec la culture et les us et coutumes chinois.


Sans grand espoir qu’aucun de ceux déjà là à Macao soient aptes à cet apprentissage, car il les trouvait complètement opposés à ses propres vues, il écrivit au provincial jésuite de Goa de lui envoyer un jeune prêtre italien, Bernardo de Ferrariis. Les raisons de ce choix ne sont pas claires, mais ce dernier n’était pas disponible et le provincial envoya à sa place quelqu’un qui lui semblait un bon remplaçant : Michele Ruggieri.


Réalisant comme Xavier avant lui qu’il fallait des hommes très instruits, Valignano non seulement demandait qu’on lui en envoyât d’Europe, il prenait aussi grand soin de la formation intellectuelle des jeunes jésuites. Il réorganisa les études au Collège Saint Paul à Goa, fonda un autre collège à Funai au Japon et construisit les bâtiments imposants du collège de Macao. Ainsi, Valignano non seulement hérita la méthode d’accommodement culturel de Xavier et la développa, mais aussi il l’institutionnalisa au Japon, comme le montre son petit livre «Cérémonies pour le Japon» (1581). Dans le cas de la Chine, il sut choisir ceux qu’il enverrait. Il est clair que par rapport à Xavier, Valignano avait trois avantages : il bénéficiait des intuitions du pionnier ; il a vécu plus longtemps et eu plus de temps pour son œuvre missionnaire (trente-deux ans au lieu des dix de Xavier) et, les onze dernières années de sa vie, il n’avait à s’occuper que de l’Asie orientale.