François Xavier (1506-1552)

François Xavier fut un des premiers jésuites à arriver en Orient. La Compagnie de Jésus avait été établie en 1540 et l’un de ses principaux objectifs était la propagation de la foi, partout où le pape voudrait envoyer ses religieux. En moins d’un an, Xavier et quatre autres quittèrent l’Europe pour l’Orient. Le travail des missions à l’étranger était quelque chose de tout nouveau, car il s’agissait précisément du Nouveau monde. Xavier vint comme missionnaire portugais, envoyé par le roi du Portugal et investi de pouvoirs de Nonce par le Saint Siège.


Dans leurs activités missionnaires, Xavier et ses compagnons commencèrent par s’appuyer sur la colonisation portugaise, notamment aux Indes, mais leurs espoirs d’être soutenus par les autorités civiles furent vite démentis. Comme Xavier l’écrit, il «prit la fuite», loin de la sphère d’influence portugaise et alla au Japon où il n’y avait pas de fonctionnaire européen capable, par sa dureté envers les indigènes, de défaire ce que lui, Xavier, essayait à grand peine de construire.



Premières expériences et élaboration d’une approche

En Inde, Xavier avait été plus tolérant des pratiques et coutumes locales que d’autres missionnaires, même s’il travaillait parmi des pêcheurs très pauvres appartenant aux castes inférieures et qui étaient tout à fait prêts à accepter le christianisme sous ses formes européennes. Au Japon, l’opposition des moines bouddhistes l’amena à approfondir sa méthode. Les réactions des Japonais l’aidèrent à réaliser que le christianisme ne pouvait réussir en Asie que si les missionnaires prenaient les indigènes au sérieux, apprenaient à parler, lire et écrire la langue du pays et ainsi s’intégraient totalement dans une civilisation particulière et se conduisaient comme les gens du lieu : «devenir chinois pour gagner les Chinois au Christ», devait-on dire plus tard. C’est ainsi que Xavier essaya d’apprendre le japonais : «Au cours de ces six semaines, par la grâce de Dieu, nous avons assez avancé pour pouvoir expliquer les Dix Commandements en japonais».


Il alla même jusqu’à trouver une équivalence entre le nom dainichi (大日, le Grand Soleil), le grand Vairochana Bouddha du Bouddhisme Mahayana, la divinité panthéiste de la secte Shingon, avec la notion chrétienne de «Dieu» – équivalence particulièrement improbable car, quelle que soit sa signification, Dainichi n’a vraiment rien en commun avec le concept de Dieu. Bientôt, de fait, Xavier réalisa son erreur et interdit de continuer à utiliser le terme. Ses successeurs jésuites au Japon débattirent sur cette question pendant une cinquantaine d’années et décidèrent finalement d’utiliser les termes traditionnels, portugais ou latins, pour exprimer les concepts chrétiens. Le mot Dieu devint simplement Deusu, Chrétien devint Kirishtan, etc… – comme de nos jours les Japonais parlent de beisuboro (baseball) ou aisukuremu (ice cream). S’ils purent s’en tirer ainsi, c’est qu’au XVIe siècle, pendant la période Sengoku («pays en guerre»), le Japon était une société ouverte, acceptant volontiers le christianisme dans ses formes occidentales, … à côté des armes à feu et du commerce.


Pour rencontrer les seigneurs et, en leur présence, débattre avec les bonzes, Xavier jouait l’aristocrate, aux habits luxueux et chaînes d’or, avec des serviteurs à ses genoux quand il leur adressait la parole. Tout ce théâtre n’avait qu’une raison d’être : discréditer les moines bouddhistes qu’il considérait comme les pires ennemis du christianisme. Ses débats avec eux le convainquirent de deux choses. D’abord que les futurs missionnaires au Japon devraient être des hommes instruits, «intelligences puissantes, rompues à la dialectique… pour démonter les sophismes et mettre à jour les incohérences et contradictions des fausses doctrines.» Ensuite, le secret de la conversion du Japon était la conversion de la Chine : «la grande objection que nous opposent les Japonais, écrit-il, est que si les choses étaient comme nous le prêchons, comment se fait-il que les Chinois n’en aient jamais entendu parler ?»



La Chine est la clé du Japon

Dès son arrivée au Japon, Xavier avait remarqué que les Japonais, à la suite de leurs maîtres chinois, étaient des gens de raison et fort intéressés par les sciences. Il écrit : «les Japonais ne savent pas que le monde est rond ; ils ne connaissent rien sur le mouvement du soleil ou celui de la terre, si bien qu’ils nous écoutent avec beaucoup d’attention quand ils nous posent des questions et que nous leur donnons des explications, nous regardant avec un profond respect comme des personnes extrêmement savantes. Cette idée que nous sommes très instruits est la route qui nous permet de semer la semence de la religion dans leurs esprits.»


Xavier était aussi impressionné par l’importance que les Japonais et leurs maîtres chinois accordaient à la conduite morale. Là, il pensait avoir découvert un parallèle étroit entre l’éthique orientale et la morale chrétienne. En conséquence, les futurs missionnaires en Asie orientale devraient être des modèles de moralité et de savoir scientifique. Il fut le premier à réaliser l’importance des sciences pour qui veut pénétrer dans les sociétés d’Asie orientale.


C’est pour en apprendre davantage sur les sources des croyances et des valeurs japonaises que Xavier décida d’aller en Chine, tout en espérant convaincre aussi l’empereur de la vérité de la foi chrétienne. Une fois le Fils du Ciel converti, tous les Chinois aussi bien que les Japonais feraient de même et toute l’Asie orientale se convertirait sans tarder. Mais, Xavier ne réussit pas à forcer les portes d’une Chine refermée sur elle-même ; il mourut, en décembre 1552, sur la petite île de Sancian (上川shangchuan en mandarin).


Les innombrables voyages de Xavier ne doivent pas être considérés comme des manifestations d’un esprit d’aventures de la part de cet homme de Navarre ; ils ne sont pas dus non plus à sa tâche de supérieur de territoires immenses (du cap de Bonne Espérance au Japon). A ses yeux, il n’était pas un missionnaire parmi d’autres. Sa tâche était celle du pionnier, de l’explorateur ouvrant la route à d’autres. Tel était le travail à lui confié par le Saint Siège et son supérieur, Ignace. A 45 ans, il lui semblait qu’il avait tout le temps voulu pour inventer les étapes de cette immense entreprise. Il s’agissait de chercher l’angle d’attaque à partir duquel la conversion de l’Orient pourrait s’effectuer.


Pour Xavier, miser en Inde du sud, à Malacca et aux Moluques fût-ce temporairement sur un clergé indigène n’était guère prometteur ; partout, on rencontrait cet esprit insouciant, rêveur et parfaitement passif qui ne ferait jamais l’affaire. C’est à ce moment précis que Xavier apprit qu’au Japon il trouverait un autre type d’hommes et, dès qu’il rencontra les Japonais, il vit qu’il n’avait pas été trompé : tous ses espoirs étaient comblés. Mais, comme nous l’avons vu, les Japonais eux-mêmes lui dirent que leurs maîtres à penser étaient les Chinois. C’est ainsi qu’après d’innombrables travaux il arriva à la conclusion que la conversion de l’Asie orientale devait commencer par celle de la Chine.

Pour aller plus loin ...