La première persécution


Le successeur de Matteo Ricci à la tête de la Mission de Chine, Niccolo Longobardo, avait été le premier à commencer à prêcher dans des églises, dès 1597 à Shaozhou, suivi par Alfonso Vagnoni (1588-1640), à Nankin en 1605 et Lazzaro Cattanao (1560-1640) à Shanghai en 1608.


Le cas du P. Alfonso Vagnoni, chargé de la mission à Nankin, est significatif du relâchement de la vigilance qui s'installait après une décennie de calme. Vagnoni avait pris ses distances après la mort de Ricci à la priorité qu'il donnait à l’apostolat indirect; il construisit à Nankin la première église ouverte au public et y célébrait des liturgies avec un éclat défiant la sagesse et la prudence. Ces excès, s’ajoutant à des remarques critiques à l’endroit des moines bouddhistes qui lui étaient attribuées, lui valurent une hostilité qui prit vite des proportions dangereuses : une campagne fut lancée par Shen Que 沈榷 (?-1624), un vice-ministre des Rites de Nankin nouvellement arrivé.


Diverses accusations furent lancées de manquement aux convenances, qui se révélèrent fausses. Hommes et femmes auraient été regroupés dans la même assemblée, alors que l’église était dédoublée pour que les messes soient célébrées en même temps pour les hommes et les femmes ; le P.Vagnoni aurait ondoyé des femmes et les aurait ointes d’huile, alors qu’il faisait appel aux services d’un frère jésuite chinois originaire de Macao, Zhong Mingren, pour ne pas être en contact avec les femmes.


Des accusations rituelles furent lancées, qui révélaient la distance entre les cosmologies des deux parties. L’ordre de la nature aurait été troublé par des propos niant le vide de l’espace céleste (existence des sphères cristallines de Ptolémée) ; les convertis auraient reçu l’interdiction de célébrer le culte des ancêtres et, plus grave, le prêtre aurait adressé des prières au Ciel, ce qui était une prérogative de l’empereur, et aurait évoqué un Seigneur du Ciel supérieur en dignité à tout ce qui est reconnu en Chine.


Le motif principal de l'accusation était la constitution d’une «Association populaire de la doctrine du Maître du Ciel», association illicite, puisque non enregistrée auprès des autorités. Les magistrats de Nankin réagirent dans la crainte des séditions populaires qui se sont déroulées tout au long de l’histoire de Chine, mais certains détails révélaient aussi un agacement, voire une exaspération devant les protections dont jouissaient les jésuites en haut lieu. Le magistrat expliqua que le geste de politesse fait à l’égard de Ricci par l’empereur en accordant un terrain pour son tombeau ne mettait pas les jésuites au dessus des lois ; découvrant que les jésuites avaient été informés directement de la décision de jugement prise à Pékin, il déplora les soutiens que ces soi-disant perturbateurs avaient en haut lieu.


L’enquête du Ministère des Rites montra la prudence des jésuites, révéla l’interdiction qu’ils avaient mise à la pratique du culte des ancêtres, elle mit aussi au jour le fonctionnement de la mission, et notamment que l’argent que les baptisés et les participants aux réunions recevaient, comme ceux qui avaient permis l’érection – illégale – d’un bâtiment, étaient en provenance d’Europe transitant par Macao et Pékin.


Ce mouvement résulta en 1617 en une proclamation du même Bureau interdisant l’enseignement et la pratique de la religion chrétienne en Chine.


Ce décret fut strictement appliqué à Nankin. Le P. Vagnoni et le seul autre jésuite sur place à l’époque, le P. Alvarez Semedo, furent arrêtés. Vagnoni fut condamné à la bastonnade et avec Semedo fut emporté dans une cage à Canton d’où il fut expulsé du pays.