La Querelle des Termes


Entre la mort de Ricci en 1610 et l’arrivée des Ordres Mendiants en 1632, le débat se poursuivit parmi les jésuites sur à peu près tous les aspects de sa méthode d’accommodement culturel. Le débat le plus vif tournait autour de la terminologie chrétienne et le sens des mots, spécialement des termes employés pour le nom de Dieu.


En 1600, Valignano avait approuvé la terminologie de Ricci. Les premières réserves au sujet de ces termes vinrent des jésuites du Japon. En effet, au Japon le problème s’était posé dès les débuts de la mission, car Xavier avait un moment assimilé le nom de Dainichi (un terme panthéistique de la secte bouddhiste Shingon) à celui de Dieu. D’autres termes étaient aussi utilisés : jodo (paradis), jigoku (Enfer), tennin (ange), etc. Quand Xavier comprit son erreur, il interdit de continuer à utiliser ces termes et, pendant les cinquante années qui suivirent, les jésuites au Japon discutèrent du problème et décidèrent d’employer les termes traditionnels latins ou portugais transcrits syllabiquement en ‘kana’ japonais pour exprimer les notions chrétiennes. Ainsi Deus devint ‘Deusu’, chrétien ‘Kirishtan’, et de même pour beaucoup d’autres termes etc. Après le malheureux malentendu avec Dainichi, c’était plus sûr et pour le Japon, alors plongé dans des guerres intérieures et avec une société très ouverte prête à accepter le christianisme dans ses formes européennes – en même temps que les armes à feu et le commerce – c’était parfait.


Mais, le problème de transcription se posait en des termes assez différents; la Chine, à la différence du Japon, était une société fermée, un pays qui s'était isolé, ce que avait conduit Ricci à mettre en œuvre une méthode d’accommodement culturel, avec des emprunts aux classiques chinois. Il est aisé d'imaginer que, quand les livres de Ricci arrivèrent au Japon, les jésuites qui s’y trouvaient furent quelque peu perturbés, ignorant que le problème ne se posait pas dans les mêmes termes en Chine et au Japon. Ils transmirent leurs inquiétudes au quartier général jésuite pour l’Asie orientale à Macao, d’où elles furent communiquées aux jésuites de Chine.


Le P.Niccolo Longobardo (1559-1654), successeur de Ricci comme supérieur de la mission de Chine, approuva le point de vue des jésuites au Japon et fit une enquête parmi les lettrés au sujet de la validité de la terminologie de Ricci. Le titre français du livre qui contient ses conclusions est Traité sur quelques points de la religion des Chinois .


Un autre critique de Ricci était le P. Sebastiano de Ursis (1575-1620), alors que Giulio Aleni (1582-1649), Nicolas Trigault (1577-1628) et d'autres soutenaient la position de Ricci. Toutefois, si les conclusions de Longobardo étaient différentes de celles de Ricci, il accepta finalement la politique et la méthode qui avaient été celles de Ricci. C’était un différend honnête qui trouva sa solution.


En 1628, une vingtaine de missionnaires se réunirent à Jiading (près de Shanghai) et convinrent de proscrire l’emploi des termes 天 tian (‘Ciel’) et 上帝 shangdi (‘Seigneur d’en haut’) et de n’utiliser que 天主 tianzhu (‘Seigneur du ciel’) ; ce terme pouvait être utilisé sans danger pour l’orthodoxie, car il n’était pas vraiment utilisé par les Chinois et qu’il faisait une distinction entre le ciel et Dieu. Toutefois, cette décision ne signifiait pas que les autres termes étaient en soi inacceptables.


La «question des Titres» fut close en 1633, mais la supposition de Matteo Ricci que ces deux termes traditionnels chinois avaient été révélés par le Dieu de la Bible aux Chinois de l’antiquité allait donner lieu à d’autres débats.


Il faut ajouter que le livre de Longobardo fut banni par le Vice-provincial jésuite Francesco Furtado entre 1635 et 1641, mais a été préservé dans le Tratados de Domingo Navarette op, qui s’opposait aux jésuites sur la question des Rites. Il sera imprimé en France en 1701 par les Missions étrangères de Paris, juste au moment où le Pape préparait un décret sur cette question.