Matteo Ricci, homme de la Renaissance


Dans le Monument du Millénaire situé dans la partie Ouest de Pékin, deux étrangers seulement figurent dans la suite des hommes les plus remarquables de l'histoire de Chine, et les deux sont italiens, Marco Polo (1254-1324) et Matteo Ricci (1552-1610).


Le premier est beaucoup mieux connu en Occident qu'en Chine, le second en Chine qu'en Occident. Le premier était un homme du Moyen-âge, le second un homme de la Renaissance. L'un et l'autre ont écrit un récit de leur expédition en Chine. Le simple rapprochement de ces deux pionniers invite à préciser certains traits de Matteo Ricci


Du temps de Marco Polo, l'Europe était moins développée - du point de vue culturel et matériel - que les pays arabes et chinois, dont la science et la culture étaient indiscutablement supérieures. L'attitude du marchand vénitien est celle d'un fils du Moyen-Age, qui, vis-à-vis des pays étrangers comme des Musulmans, est empreinte de ce sous-développement ; elle s'exprime notamment dans l'admiration devant les villes qui se présentent à lui. Autre trait de l'époque, l'imagination joue un rôle important dans le récit, ce qui a pour conséquence que le livre de Marco Polo est très apprécié de tous ceux qui aiment les voyages imaginaires.


Matteo Ricci, trois siècles plus tard, vient d'une Europe qui n'est plus celle du Moyen-âge, mais celle de la Renaissance. La Renaissance, c'est le retour aux sources de l'époque classique et moderne, mais c'est beaucoup plus. C'est aussi - et peut-être surtout - un développement sans précédent des sciences, nécessaires à l'homme de l'époque dans sa visée à dominer le monde.


Ainsi, la connaissance scientifique est une dimension importante de la culture de ce temps, de l'humanisme de la Renaissance ; elle est une expression du changement fondamental dans les rapports entre l'homme et le monde : l'homme se considère au centre du monde et se donne pour tâche de le maîtriser : elle est ainsi un aspect central de l'humanisme de cette époque.



Matteo Ricci, par sa formation au Collège Romain, est un homme de la Renaissance dans tous les sens du terme ; il a étudié la philosophie et la théologie, comme il convient aux futurs prêtres, mais aussi les auteurs classiques - y compris, et surtout, les païens - ; il a aussi suivi des cours de mathématiques, d'astronomie, de construction d'appareils astronomiques, ... Il ne faudrait pas voir dans cette suite de disciplines une simple accumulation de savoirs, car ces savoirs s'interpénètrent, l'exemple le plus frappant en étant sans doute la substitution par Clavius des Eléments d'Euclide à la Logique d'Aristote pour la formation à la dialectique.



Au cours des vingt-huit ans qu'il a passés en Chine, Matteo Ricci a été le témoin de sa foi chrétienne, il a aussi été le témoin de cette profusion de connaissances et de savoirs qui a fleuri à la Renaissance. Il a parlé philosophie avec les lettrés de Nankin, il a présenté les bases du christianisme dans la « Véritable Idée de Dieu », il s'est inspiré de Cicéron pour écrire son « De l'Amitié », les allusions à Epitecte abondent dans ses « Vingt-Cinq Paroles » et c'est à Sénèque qu'il lui arrive de comparer Confucius.


Son activité scientifique a révélé aux Chinois la validité des calculs astronomiques, le monde de la géométrie, la position précise de la Chine dans le monde ; mais il a aussi su admirer les instruments scientifiques construits par Guo Shoujing. Enfin, il a encore été des vers et peint des tableaux.



C'est peut-être dans le récit de son expédition en Chine que l'on mesure avec le plus d'évidence la distance qui le sépare de Marco Polo. Là où Marco Polo avait mêlé la réalité à l'imagination, voire à la légende, là où il avait décrit ses voyages selon des itinéraires très improbables, Matteo Ricci fait un récit d'une grande précision, qui sert encore aujourd'hui de source de premier ordre pour l'histoire de la fin des Ming. Dans le premier chapitre, il décrit la Chine et notamment ses institutions avec la précision que plus de vingt-cinq ans dans le pays permet d'atteindre à un esprit ouvert et cultivé.