Le prestige de Ricci comme astronome


Les explications de Ricci impressionnaient ses interlocuteurs, dont il rapportait les jugements avec modestie, si ce n’est humour :

« Et à la vérité, si la Chine était le monde entier, je n'hésiterais pas à m'appeler le plus grand mathématicien et même le plus grand philosophe de la nature, parce que tout ce qu'ils disent est risible et je suis surpris du peu de choses qu'ils savent : ils se sont tous adonnés à la morale, et ils ont cultivé l'élégance du discours, ou, pour mieux dire, du style... Ils sont persuadés que je suis un phénomène de savoir scientifique et que, de notre pays, il n'est jamais sorti rien de semblable : ce qui me fait bien rire.."


Des points faisaient cependant difficulté : il leur semblait inouï que le soleil fut plus grand que le fond d'une botte, mais ils finissaient par se convaincre au moins qu'il était de dimensions supérieures à la terre,

"car certains lettrés, l'ayant mesuré avec leurs instruments, lui ont attribué plus de mille lieues. Les étoiles, ajoute Ricci, sont plus grandes, beaucoup plus grandes que la terre : "cela leur parait un paradoxe incroyable comme aussi que le feu situé sous le ciel occupe la plus haute partie du monde élémentaire, ou qu'il engendre les comètes et les étoiles filantes"!


Ricci avait aussi l’art de matérialiser ces enseignements en construisant divers instruments fort usités en Europe : globes terrestres, globes célestes, sphères astronomiques, cadrans solaires ... De plus, il fabriquait lui-même et apprenait à fabriquer divers instruments d’observations.


Le plus connu de ces instruments était "l’astrolabe", c’est-à-dire un instrument permettant de "prendre la hauteur d’un astre", c’est-à-dire de mesurer l’angle de la visée de l’astre avec celle de l’horizon. Une sphère armillaire, formée de deux et parfois de trois cercles dont les plans sont rectangulaires, et qui permet de déterminer les coordonnées des astres par rapport à l'équateur et au méridien, peut jouer le rôle d’un astrolabe. Mais ce peut-être un outil simple et facilement transportable, tel le "planisphère" dont le P.Clavius recommandait l'usage et qui était un disque (en carton solide) dont le limbe était gradué sur tout le pourtour et pourvu d'une alidade mobile autour du centre afin de viser les divers points de ciel.


C’est donc en connaisseur que Matteo Ricci apprécia les instruments d’observation qui avaient été réalisés par Guo Shoujing trois siècles auparavant et transportés aux observatoires de Nankin et de Pékin : il ne put retenir un cri d'admiration, qu’il n'avait rien vu de mieux en Europe. Certes au moment où il admirait ces instruments, Tycho-Brahé (1546-1601) venait de révolutionner la technique des observations astronomiques dans son observatoire du Danemark, mais Ricci n’en avait point entendu parler.

Il remarqua que ces instruments étaient réglés pour une latitude de 36° qui n’était ni celle de Nankin, ni celle de Pékin, mais sans doute celle de Ping Yang 平阳 au Shanxi où avaient été formés de jeunes mongols quelques siècles plus tôt. De toutes façons, les astronomes ne se servaient plus de ces instruments. Les mathématiciens de l'Empereur, nombreux dans l’une et l’autre capitale, n’étaient ni très intelligents ni très instruits ; ils se bornaient à calculer leurs calendriers et leurs éphémérides à l’aide de règles empiriques, et, si l'éclipse ou la course des planètes ne correspondait pas bien à ce qu'ils avaient annoncé, ils l'expliquaient comme un présage de l'avenir.



Plusieurs éclipses ont contribué à renforcer le prestige de Matteo Ricci.

Il y eut d’abord, l'éclipse du soleil du 22 Septembre 1596 qui acheva d'établir la réputation astronomique de Ricci à Nanchang :

«Plusieurs mois auparavant, elle avait été annoncée par le tribunal des mathématiques de Pékin. En cette occasion, les magistrats doivent s'assembler pour porter secours, comme ils disent, au soleil et à lune, en frappant des instruments de bronze jusqu'à la fin de l'éclipse.» Or elle fut beaucoup moindre qu'on ne l'avait prévu.

Beaucoup de gens vinrent m'en demander la cause : y avait-il erreur dans le calcul, ou bien d'autres causes en avaient-elles réduit l'importance ? A cette occasion, je leur expliquai comment l'éclipse de soleil n'est pas universelle et qu'elle peut être plus grande en un lieu qu'en un autre ; ainsi, il pouvait arriver qu'elle dût être plus grande là où on l'avait calculée [à Pékin] tandis qu'elle l'était moins dans cette province [du Jiangxi] qui est beaucoup plus centrale. Cette explication les contenta car elle ne contredisait pas les mathématiciens du roi et les raisons que je leur donnai des éclipses soleil ou de lune les satisfirent : tout cela leur était inconnu, spécialement la cause de l'éclipse de lune que leurs savants n'ont jamais su donner.


Les éclipses de lune du 15 Juin et du 9 Décembre 1601 et l’éclipse de soleil du 4 Juillet 1602 donnèrent à Ricci l'occasion de mesurer la longitude de Pékin.


Plus tard l'éclipse de soleil du 11 Mai 1603 consacra la réputation hors pair du missionnaire. Elle avait été annoncée par les mathématiciens de l'empereur avec des erreurs considérables : près de trois quarts d'heure (42 min 36 sec) pour le début et environ un quart d'heure (14 min 12 sec) pour la fin.


Ricci, ne possédant pas de livres d'astronomie, devait se contenter des éphémérides et répertoires que les Portugais publiaient à l'usage du grand public (32) :

«Souvent, écrit-il (33), je prédis ces éclipses beaucoup plus exactement que les Chinois ; c'est pourquoi, quand je dis que je n'ai point de livres et que je ne veux pas m'appliquer à la réforme de leurs règles de calculs, il y a peu de gens qui me croient.»


Une éclipse de soleil fut encore annoncée par erreur par les astronomes officiels pour le 26 Février 1607, contribuant encore un peu plus au discrédit de leurs méthodes.


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