L’oeuvre


Religieux jésuite envoyé évangéliser la Chine et esprit ouvert aux sciences de son temps, il est commode de distinguer l’œuvre religieuse de Ricci de son œuvre scientifique, même si ces deux aspects ne peuvent être séparés.


Pendant les vingt premières années qu’il passe en Chine, Matteo en Chine travaille dans la visée d’obtenir de l’empereur l’autorisation de prêcher la religion chrétienne : dans cette perspective il ne fait aucun apostolat direct (au risque de ne pas être compris par ses compagnons), il fait preuve de beaucoup de patience pour éviter des communautés chinoises toute réaction qui pourrait remettre en cause cette perspective ou en retarder l’avènement ; il développe volontiers les bases de la religion chrétienne (le monde a été crée par Dieu, les bons seront récompensés et les méchants châtiés, etc..) ; il se garde de parler des affirmations chrétiennes dont l’assimilation ne relève pas de la raison, mais d’une pratique chrétienne (venue de Dieu dans notre monde, réconciliation de tous les hommes en Jésus-Christ) ; il expose ces bases dans Le vrai sens de Dieu, sous la forme d’un dialogue entre un penseur occidental et un penseur chinois, qui a eu beaucoup d’influence en Chine et en Corée.


Il avait un don pour se lier d’amitié avec les personnes qu’il rencontrait. Il écrit un petit ouvrage de l’Amitié qui aura un grand succès. Dans les Vingt-cinq Paroles, évoque en termes empruntés aux Stoïciens la soumission au destin ; l’ouvrage sera très bien reçu par les fonctionnaires qui vivaient dans des temps où il était difficile d’être intègre et de rester en poste.


Quelques Lettrés se lieront étroitement avec lui, soucieux de faire profiter la Chine des connaissances nouvelles qu’il apporte, et adhéreront au christianisme et se feront baptiser. C’est avec eux que Ricci, puis ses successeurs, traduira des œuvres scientifiques et notamment les six premiers livres des Eléments d’Euclide. Ils seront parmi ceux qui lui confient les problèmes de l’établissement de cette institution politique qu’est le calendrier en Chine et, plus tard, associeront des jésuites à sa réforme dans les dernières années de la dynastie Ming (essentiellement années 1630).



Les sciences que Ricci a étudiées à Rome ne sont pas celles des Temps modernes, qui ne se développeront avec vigueur qu’au début du XVIIe siècle : la cosmologie est encore celle de Ptolémée, l’algèbre cherche encore la notation symbolique qui simplifiera considérablement son exposé et favorisera son développement, la géométrie retrouve juste le niveau obtenu par les Grecs.


Leur apport a été cependant substantiel. Limitons-nous ici à celui de Ricci. En mathématiques, Ricci introduit Euclide, c’est-à-dire la géométrie et le raisonnement logico-déductif, ; en astronomie, il communique l’art de la construction et de l’utilisation des instruments d’observation. En géographie, Ricci ne transmit pas de connaissances occidentales, mais apporta aux Occidentaux et aux Chinois des connaissances nouvelles sur la localisation de la Chine et l’identifia au Cathay de Marco Polo ; c’est un domaine où il était vraiment engagé personnellement et non un domaine qu’il pratiquait pour attirer des curieux ; les mappemondes visaient à coup sûr à susciter l’intérêt des lettrés, mais sa mappemonde de 1602 traduit le résultat de ses investigations sur une vingtaine d’années et est aussi la carte la plus précise de son époque.


Les lettrés convertis qui gravitent autour de lui ne sont pas seulement ceux qui mettent en un chinois élégant la traduction orale que Ricci – avant d’autres religieux – fait oralement. Ils poussent à traduire des textes qui leur paraissent utiles à l’amélioration de leur peuple, ils en organisent la publication – voire la font à leurs frais – en y ajoutant des préfaces, des textes écrits par eux-mêmes ou par des tiers. Les deux les plus actifs s’appellent Paul Xu Guangqi et Léon Li Zhizao.


Ces collaborateurs zélés appellent Etudes occidentales les études – ‘apprentissage’ serait mieux venu pour en rendre l’aspect pratique, inséparable en Chine -, l’enseignement de Ricci. Développant une intuition de Ricci, ce dernier comprend tous les aspects de son œuvre (religieux, humaniste, scientifique). L’un d’eux le défendra en ces termes : «tout ce qu’ils apportent est utile à l’Etat, depuis leur discours sur l’obligation de ‘servir le Ciel et aimer les hommes’ jusqu’au calendrier, aux mathématiques et aux techniques agricoles et hydrauliques. En outre, leurs propos sont en accord avec le confucianisme. …»


Ce mélange des genres a été critiqué, mais du point de vue des Lettrés comme de celui des jésuites, il a sa cohérence : c’est notamment dans le souci des conditions d’existence du peuple que le Lettré «sert le Ciel», tandis que le jésuite sert Dieu, non seulement dans la prédication, mais dans toute tâche où il y a de l »humain à construire, à raffermir (enseignement, communication entre les cultures, ..). Mais ‘cohérence’ ne signifie pas acceptation par tous, mais la ‘non-cohérence’ perçue ne signifie pas pour autant ‘duplicité’.